les chars dansent sur la chenille, je répète, les chars dansent sur la chenille....
C'est le son du portable qui nous réveille du sommeil réparateur dans cet hôtel Playmobil. Le corps flasque on prend un liquide noir en guise de café et surtout une bonne douche qui t'enlève l'odeur de la journée de la veille : un mélange d'essence , d'huile, de sueur...
Direction le départ dans le petit matin avec pour paysage le charme des banlieues industrielles.
Dans le parc coureurs, la chose noire est là, solitaire. J'ai un drôle de sentiment, l'impression d'être sorti du temps, un peu comme un mec qui va bosser en croisant ses collègues qui se barrent en WE. Aujourd'hui, c'est 800 kms, 2 goujons de fixation de culasse se sont défaits, c'est irréparable, le moteur émet un brouillard d'huile qui badigeonne mon pantalon de cuir du coté gauche. C'est l'heure.
Les forces de la motricité m'éloignent de la ville endormie, je rejoins d'autres concurrents, ce qui me rassure un peu.
Le reste, c'est un alignement de motos dans la lueur des phares, des nappes de brouillard qui refroidissent le corps, la buée sur la visière du casque, les cartes, les pancartes, le road book qui me rend chèvre, le compteur, l'heure, le bruit du bloc propulseur, l'odeur d'huile brûlée, la peur, le choix dans les rapports de boite (cherchez pas la contrepèterie), comment aborder les centaines de virages et le défilement de ces petites routes touristiques piégeuses.
Nous nous perdons régulièrement, je roule en compagnie de Gérard et Gilbert, on passe Dreux, Rambouillet. C'est mal indiqué, on perd du temps, de plus mon road book a déclaré forfait.
La moto de Gilbert ratatouille, on s'arrête dans une station à Dourdan pour faire le plein et vérifier la Suzuki, je sorts mes outils, a priori c'est une bobine, elle repartira comme ça, de plus on apprend qu'un de leurs potes a serré son moteur de Kawa, fini pour lui.
Les trois motos repartent et là c'est l'enfer, on n'arrête pas de se perdre pour quitter cette putain de banlieue.
TUT TUT BBBBBBBBZZZZZZZZZZZZZZZZZ
Gégé part devant avec sa Kawa KH, il est équipé d'un GPS, Gégé c'est un mec plutôt grand, la bécane fait toute petite, genre « si t'essaiLLes pas, tu peux pas savoir », du style impulsif.
A chaque rond point, Gilbert regarde sa carte tandis que Gégé fait un signe indiquant la direction et fonce dans un nuage de fumée accompagnée d'un TUT TUT BBBBBBZZZZZZZZZZZZZZZ , et après quelques Kms, on revient au même rond point et là Gérard sort sa boite magique, rentre les informations et fait signe qu'en fin de compte c'est par là.
TUT TUT BBBBZZZZZZZZZZZZZZZZZ
On suit, après plusieurs plantages de directions, Gilbert décide de faire le point sur la carte pendant que Gégé fait le tour du rond point trois fois, on entend TUT TUT BBBBBBBBZZZZZZZZ et il se barre en montrant une direction, Gilbert lève les mains en disant, « pas si vite, merde ! on va encore se gourrer de direction, » je suis mort de rire, Gégé me fait marrer, j'avais roulé avec eux l'année dernière et ce TUT TUT BZZZZZZZZZZZZ m'avait marqué, il raisonne dans ma tête et m'arrache un sourire, ce sont des gars vraiment sympas avec un bon esprit.
Enfin, arrive la plaine avec ses grandes lignes droites, on va enfin pouvoir tenir une moyenne convenable, on est total à la bourre, j'accélère la cadence, pique une pointe accompagné de Gégé et je vois dans mon rétro une tache verte s'éloigner, je ralentis et vois Gégé accompagné de son légendaire TUT TUT il me fait un signe avec le pouce indiquant que la Norton marche fort, oui, mais on peut pas dire qu'elle est agréable en croisière, ça mouline dur. On attend Gilbert qui ratatouille toujours, il ne tourne que sur deux cylindres.
L'accident
En passant dans un bled (vers Clamecy), je roule devant sur une rue en travaux et à une intersection, dans mon champ visuel, je crois voir une pancarte sur la droite, je freine et ralentis et à ce moment, j'entends derrière moi un crissement de pneus suivi du son caractéristique du frottement de métal sur l'asphalte, çà me glace le dos, je comprends tout de suite, je gare la moto et vois Gégé couché au milieu de la route sur le dos et la bécane qui monte dans les tours
Je cours, je coupe le contact l'essence de la Kawa et me précipite vers Gégé, apparemment il a mal, je lui dis de ne pas bouger, Gilbert me rejoint, des gens du village commencent à s'attrouper autour de nous, je vois sa clavicule sortie, c'est fini...
Je m'en veux à mort, mon indécision est l'origine de sa chute, mais c'est vrai aussi qu'on est tous crevé, on a des moments de flottement, il a freiné de l'avant et la bécane est partie. Voir un mec à terre c'est déprimant, en une fraction de seconde, tout change.
Les pompiers viennent, les flics, on téléphone au PC course, le tout agrémenté par les curieux du village qui nous font part de leurs commentaires, c'est du rustique.
Notre ami Bébert (qui roule en Honda 125 S3) s'arrête et il repart au son du "poum poum" de son monocylindre, la route doit être longue pour lui. Les portables ne marchent pas, on reste coincé pendant une heure sur le lieu, j'ose imaginer à quelle heure on va arriver à Thonon. Gégé part dans l'ambulance, il n'a que la clavicule d'abimée, rien de trop grave, mais c'est chiant, on se serait bien passé de ça.
Je demande au mécano du coin s'il peut me vendre un peu d'huile, il m'en ramène et verse ça dans mon réservoir, quand je vois l'épaisseur du liquide, on dirait de l'huile de friteuse figée
« Çà a l'air vachement épais, c'est quoi comme huile ? »
« Bah... on en met dans les moissonneuses : avec çà, tu n'auras pas de problèmes », c'est le vrai mécano de campagne, la clope au bec, le bleu dégueulasse, son antre est garnie de carcasses de vieilles DS ....
Je répare mon road book, Gilbert veut prendre son temps pour faire la route, je décide de partir, on apprend que le PC course annule les pénalités horaires, mais il impose de suivre le trajet du road book et de faire la spéciale d'AIGRE FEUILLE, ça me fout dans une rage, ils pourraient nous faire tracer direct, Thonon est encore loin.
Donc je pars à fond les ballons, je dirais un poil énervé, mais concentré sur mon road book, j'emmanche les petites routes à un rythme soutenu et j'arrive dans le Morvan, routes idéales pour exploiter ma Norton, l'occasion pour moi de passer un cap avec cette moto, savoir quelles sont ses capacités. J'arrive enfin à trouver du plaisir avec mon engin noir mat, je découvre les forces centrifuges, le revêtement est remarquable et le tracé des routes d'une facilité déconcertante, je retrouve mon esprit sportif, déhanchement, souffle, l'impression d'un flottement dans les courbes (NDRC : cherchez pas non plus...), je me laisse prendre au jeu, je me couche sur la bécane, les virages sont sans surprises, je bombarde , ça roule tout seul, presque chiant, c'est pratiquement toujours pareil, on fait des belles figures, on en viendrait presque à s'prendre pour un grand pilote, ce qui n'est pas un but dans ma vie (ça tombe bien...). Mais, ça me réveille et je constate que la Commando se comporte pas trop mal.
Je passe Château Chinon, je vois Bébert arrêté et lui fais signe si il a besoin d'un coup de main. Il me dit que non, j'aurais mieux fait de m'arrêter et de faire le plein. Mauvais calcul de ma part, 40 bornes plus loin je fais le point sur mon essence, j'économise ma conduite pour ravitailler à la spéciale et compte sur ma réserve, ce qui arrive, je change la position des robinets et c'est avec une grande joie que je découvre que ma réserve doit faire ¼ de L , c'est donc comme un gros con que je me retrouve à garer 850 cm 3 dans un silence de mort devant une baraque où réside un Hollandais, il vient me voir, je pige queude, de toute façon il a pas d'essence.
Je téléphone, mais ça passe pas, je suis obligé de monter sur une hauteur, ça capte de temps en temps, j'appelle, ça coupe, mais ils ont pigé (l'assistance) qu'il y avait un problème.
J'attends qu'ils me rappellent, j'attends sur la hauteur, je vois la moto dans le bas....rien, pas d'appel, je décide de redescendre, soudain le téléphone sonne, je décroche, ça capte pas. Je cours pour remonter sur la hauteur, pis j'attends, rien, donc je redescends, ça resonne, je remonte, rien..
Ça commence à me casser les couilles velu !
Je vois Bébert qui passe : "poum poum poum". Je descends, trop tard... j'allais faire du stop quand l'assistance de Bébert s'arrête et me file 10 litres d'essence, je suis fou comme un lapin, je bombarde jusqu'à Aigrefeuille.
J'arrive enfin à la spéciale, Chet et Kurtz sont là, à peine la moto garée, un mec me saute dessus pour me dire de partir sur la spéciale tout de suite.
Je l'exclamationne d'un "NON !" catégorique.
Il insiste
" C'EST NON !". Je lui explique qu'on va réviser la moto, qu'il est hors de question de partir sans un contrôle.
Un policier se marre et j'engage le dialogue avec le commissaire, qui devient plus compréhensif et on en finit à parler des NORTON, il est 16 heures, il faut que je bouffe un bout. Chet fait le plein, contrôle la chaîne, la boulonnerie, je remonte sur la moto une barre de céréales dans la gueule pour prendre le départ de la spéciale.
L'Esprit Guerrier
Aborder une spéciale demande une préparation mentale, les instants qui vont suivre vont être riches en émotion, les sens vont être mis à rude épreuve, la jonction vision-cerveau-muscle- nerf-flux sanguin va être dans sa fonctionnalité maximum, sans toutefois prendre conscience de tout.
L'état d'esprit dans lequel tu es est important : trop modeste, tu ne vas pas faire de score, trop orgueilleux, tu vas te gauffrer, à toi de trouver l'accord parfait.
Ma pratique des arts martiaux, m'a au moins enseigné ça : j'ai appris à mes dépends à rentrer sur une aire de combat, la fleur au bout du fusil. Je subissais la pression et finissais souvent avec des blessures et la perte du combat, je me suis donc imposé quelque chose de contre nature... « l'esprit guerrier », ce qui te permet de découvrir la peur chez l'autre, le doute par la pression que tu vas imposer. L'autre, dans ce cas, c'est l' épreuve avec les aléas de la route et de la moto.
Cet aspect humain m'attire dans la pratique de la moto, j'y retrouve des sens pour mieux connaître, mieux gérer une chose très personnelle. Je le fais avec ce que je sais, ce que j'apprends, à mon rythme, solitaire.
Je ne me suis jamais pignolé devant des posters de MIKE HAILWOOD ou BRUCE LEE
« Plus tard je roulerai aussi vite que Bruce LEE et je serais aussi musclé que Mike HAILWOOD » (Bouseland février 1978)
J'aborde donc cette spéciale un peu énervé, mais j'ai envie de franchir un cap, faire quelque chose, de plus, je n'ai fait aucune reconnaissance, je suis contre les reconnaissances (ne jamais compter sur la reconnaissance) Je ne vous raconterais pas comment s'est déroulé cette spéciale pour moi, cela pourrait être aussi chiant qu'une gonzesse qui parle de son accouchement ou un mec qui parle de son service militaire. A vrai dire, je ne me souviens de rien, seulement que la roue arrière des fois ne semblait plus en jonction avec le bitume (putain d'amortisseurs), et j'ai du profiter d'un bout de ligne droite pour respirer profondément.
Une fois passé la ligne d'arrivée, je me dis qu'il faut absolument refoutre les choses à plat, c'est pas une situation normale, va peut être falloir arrêter de faire le con. Une fois que tu passes la baraque des chronométreurs, tu es un peu comme un mec qui fume sa clope après une partie de jambons : relâche.
SCORE :69 sur 157 et 7 ème en classique
Ensuite, ce sont des longs kms où la fatigue se fait sentir, la nuit qui tombe, les pancartes, pas se gourrer, heureusement la route est directe et de plus avec un bon revêtement.
Je fais le plein à Annemasse, un mec vient me voir et me parle avec un putain d'accent, je percute qu'on est près de la Suisse : ce matin l'accent du nord, ce soir l'accent Suisse. Mon compteur indique 750 kms, je file seul je vois au loin Thonon, il est 20h30, des petites lumières dans la montagne, des villages sans doute.. Ceux qu'on va avoir la joie de traverser lors de l'épreuve de nuit qui nous attend, j'ai faim, soif, je suis comme un gros mollusque assis sur mes 3 centimètres de mousse, je file à 140 sur la voie rapide...
A suivre : elle adore le noir pour sortir le soir...
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