LUNDI 26 SEPTEMBRE 2005 Dans le désert les colts envoient des mots… (étape Reims Wasquehal)
Levée des corps :
le camping, c’est pas mon truc, je dors moyen, toujours le café fadasse, jus d’orange, fruits.
C’est un peu le bordel au campement, les fringues traînent entre les outils, la bouffe, les cartes, le nécessaire à toilette. On a cette chance, on part plus tard que les autres, ce qui nous laisse le temps de faire surface. Ce matin il faut démonter la tente, le camion file sur Folambray et ensuite Wasquehal. Je suis impatient de rouler sur Folambray, il me semble que la Norton sur piste sèche pourrait bien se placer. Pendant que Chet et Kurtz finissent de plier, je rejoins mes collègues au parc fermé, j’aime bien cette ambiance, c’est un peu comme une escadrille. C’est convivial et respectueux. Je sors la moto du parc fermé, je démarre, je regarde si tout est en ordre. Chet pose un œil attentif, pointage, départ… je sorts de la ville en lisant mon road book et vérifie mes carbus : RAS, super, on a fait du bon boulot hier.
Je me situe en milieu de peloton. Ma stratégie consiste à rejoindre ceux qui sont partis avant moi. En général j’essaye, quand c’est possible, de gagner 10/15 minutes sur l’horaire. Cela me permet, en cas d’avarie mineure, d’intervenir sans prendre de pénalités. Je maintiens une vitesse de croisière de 110/115 km/h sur des petites routes en me méfiant des changements de directions. La lecture du road book indique les kms d’un point A à un point B, en 500 m tu peux changer 3 ou 4 fois de directions, donc tu es vigilant. Mais quand entre le point A et B il y a 10/15/20 bornes, ça te permet de tartiner tout en respectant la mécanique, elle souffre suffisamment sur les spéciales.
Le temps est agréable, pas d’humidité...
Je roule serein, la machine se comporte bien, je maintient le 110 et je me remémore la journée d’hier : en fin de compte, c’était sans doute une étape à passer.
La campagne est très peu boisée, c’est de la plaine avec quelques vallons. La traversée de petits villages surgissants de nulle part indique une présence humaine. Des fois c’est morne, des fois c’est charmant, laissons nous guider, reposons nous… vigilant , et soudain, la moto se bloque violemment de l’arrière, d’une brutalité terrible ! Je débraye, j’essaye de maintenir mon cap, de la fumée envahi le côté gauche, le crissement du pneu, le moteur coupe sous la violence, la moto se bloque au bord de la route.
Je ferme l’arrivée d'essence, coupe le contact, un truc dramatique vient de se passer dans le bloc propulseur… Je suis entouré d’une fumée d’une puanteur de caoutchouc et de plastique brûlés. Je pose la moto sur un poteau, je la regarde impuissant, je n’ose m’en approcher. Je regarde la machine, mais qu’est ce qu’il s’est passé ?
Je suis sous le choc, je regarde, la fumée sort du carter primaire, je décide d’ouvrir les bouchons de regard du carter. Une fumée noire puante en sort. J’entends l’huile bouillonner à l’intérieur, tout est chaud, le choc a été violent.
C’est foutu, on pourra pas aller plus loin, c’est trop grave, on pourra pas réparer.
De nombreux concurrents s’arrêtent et me demandent ce qu’il m’arrive :
« Je sais pas, je crois que je vais être obligé d’abandonner, c’est une grosse casse. »
Tous les concurrents m’apportent un message d’espoir, de soutien
« tu vas pas nous faire ça, c’est la seule Norton ! » « tu vas pouvoir peut-être réparer » « mon assistance est derrière, ils vont te filer un coup de main... »
Je baisse pas souvent les bras, mais là, la violence de l’arrêt, obligatoirement, c’est mort, pas un moteur ne peut résister à ça. Je leurs souhaite bonne route et j’attends, je regarde, je téléphone, j’arrive pas à joindre l’assistance , je tombe sur le répondeur.
J’approche de la moto, je veux savoir ce qui s’est passé, je démonte le carter primaire avec mes outils de bord. J’entends des concurrents qui passent, des mecs viennent m’aider, il me manque des outils, tant bien que mal j’arrive à enlever le carter, je veux savoir.
Je décide de joindre le QG, Kliknk assure la permanence. Pour contacter les autres, je sais pas où je suis, ah si :
Je vois une pancarte : « Chemin des Dames ».
J’essaye de situer sur la carte, Klink percute : dès qu’il est en contact avec Chet ou Kurtz, qu’ils me téléphonent, je continue de démonter.
Le carter enlevé, je vois l’ampleur des dégâts, rotors , stator, explosés et calcinés, carter intermédiaire fendu… je regarde perplexe, je me laisse pas impressionner, on peut peut-être réparer. J’entends une BMW se garer derrière moi. C’est un des gars de la Police qui nous accompagne sur le Dark Dog, sympathiquement, il me propose de l’aide, mais quand il voit le merdier, il sait que cela va être inutile. J’entends de moins en moins de véhicules passer sur la route. Le policier reste un instant et me dit que l’assistance de la police doit passer en queue de caravane, qu’ils ont des outils.
Le policier repart, je reste là devant, je regarde, j’essaye de comprendre… je scrute… la chaîne, elle est bizarre la chaîne, elle est sortie la chaîne de la couronne primaire, c’est elle qui a tout explosé, mais pourquoi bordel ? pourquoi !
Autour de moi c’est devenu silencieux, seul à ce carrefour, j’attends...
Plus de bruit, la plaine à perte de vue, c’est un carrefour... j’erre... j’entends, au loin, un bruit de moteur qui se rapproche. Ce sont des gens de la région, ils passent et j’entends le moteur s’éloigner et de nouveau, le silence, un long silence. Et je regarde cette grosse chose noire, le boulot pour monter ce projet... je n’ai pas d’amertume, une leçon de modestie face aux éléments, nous qui voulons tout domestiquer... je relativise les choses.
Au loin j’entends le son sourd d’un camion qui s’amplifie : à ma surprise, arrive un camion haut sur patte, trapu, 4 roues motrices avec des écussons Dark Dog collés dessus. Les mecs s’arrêtent, un gars costaud avec un béret basque me demande si je suis en panne, je dis "oui"...
« une grosse panne ? » « plutôt ouais... »
« voulez-vous qu’on monte la moto dans le camion, on est le camion balai de l’épreuve ? »
« oui, mais si elle monte dedans, qu’est ce qu’il se passe ? » « ben c’est fini »
« vous voulez dire que j’abandonne la course ? » « oui »
...
« alors on la monte ? » « non »
Je salue les gars et ils repartent.
A nouveau le silence, cette ambiance me rappelle « La Mort aux Trousses » d’Hitchcok, au milieu de nulle part.
L’attente, les bruits au loin, et plus rien...
Le téléphone sonne : Kurtz arrive. Chet roule dans ma direction aussi, avec le fourgon, ils m'ont localisé. Bernard, l’assistance d'Hervé, me téléphone pour me dire que la Bol d’Or a déclaré forfait. Elle a subi une grosse panne et est dans le camion balai. Ca me fait chier pour eux, je trouvais qu ‘Hervé pouvait prétendre à de bons résultats, il gérait bien son truc et en plus, bon pilote...
Je téléphone à Klink pour qu’il s’informe au PC course : si on arrive à réparer, comment çà se passera pour nous.
Arrive Kurtz, il prend des photos, se renseigne des dégâts... ensuite arrive Chet, on sort les outils, on constate, on essaye de démonter. Il nous manque du gros outillage pour arracher le rotor. une camionnette se gare à coté de nous, sur la camionnette , je vois « mécanique agricole ». Le mec vient nous voir et nous file un coup de main. Il sort des outils monstrueux : on y va au pied de biche, au burin, ça envoie le pâté !
Nanard du CTF arrive, quand il voit le truc, il dit que c’est pas gagné, mais c’est peut être pas perdu non plus, les pièces qui sont explosées, ils les a en double, il se propose d’aller les chercher sur Reims. Soit , un carter primaire, des goujons, un rotor d’alternateur et un outil pour démonter le pignon de sortie de vilo. Il part avec Kurtz, pendant que l’on continue le démontage.
Le carrefour est un vaste bordel où traînent des pièces, des bidons, des outils...
Je pose le rotor sur la terre et je vois des pièces métalliques rouillées se coller à l’aimant... curieux... « le Chemin des Dames », la guerre 14/18, bordel j’avais pas fait le rapprochement et effectivement, je vois un fragment d’obus. Je regarde Chet, « y’a eu la guerre ici, ça a pété grave », Chet se marre, on discute, on se lâche et Chet me dit :
« t’as pas faim ? ». « je vais te dire un truc, fait péter un château Boxon avec une tartine de pâté, ça va nous requinquer »
On ne pouvait plus avancer sur la machine, donc on a cassé une croûte, pis on a parlé d’autre chose que de bécanes, on a fait un break... J’ai maté sur la carte le repli stratégique sur Wasquehal si on arrive à réparer, et on a attendu.
Nanard est arrivé avec toute les pièces, on s’engage sur le remontage, mais impossible de sortir le pignon de vilo, même avec l’outil spécial, il nous faudrait un gros marteau et là on entend un engin agricole à chenilles monstrueux qui passe, j’arrête le gars et lui demande s’ il a un gros marteau... le mec me fait :
« J'ai ce qu’il faut !»
il saute de son engin avec un marteau énorme et nous voilà partis à taper sur l’outil...
Ca vient toujours pas, on le remercie, on trouve que les mecs sont plutôt sympas dans le coin. On décale la boite de vitesse pour remettre la chaîne primaire, ça passe de justesse. Quel bordel, mais quel bordel ! Je vous passe les problèmes auxquels on a eu à faire face, mais la cerise sur le gâteau, c’est quand même cette clavette de rotor : on l’a paumée !
Tu l’as vue toi ? Non Je l’avais mise là Oui mais quand on foutu le coup de burin, tout a volé Merde !!!!!!!
On cherche, on cherche, pas de clavette Il faut la clavette... Chet décide d’en fabriquer une, moi je cherche... Chet prend la scie à métaux et veut en fabriquer une, au moment où il amorce la pièce de métal je vois la lame de scie lui exploser à la tronche... pas de lame de rechange...
C’est vraiment pas le jour
Chet et Nanard se barrent dans le village voisin pour fabriquer une clavette et moi je cherche et soudain , je trouve !
Au retour de Chet, on a tout pour remonter, on se dépêche, il est 17h30, dernières vérifications, et sur les coups de 18 h la Norton démarre, on en a plein le cul. On salue Nanard, imaginez la disponibilité qu’il nous a accordée, un grand coup de chapeau, il l’a fait avec gentillesse, merci à toi, un grand merci.
Le reste, c’est de la route, direction Lille, on décide de se suivre. Tout se passe bien, mais la nuit tombant, on paume CHET. J’appelle sur le portable : rien. Je regarde la carte, il faut qu’on prenne une autoroute, il faut qu’on bombarde, Chet nous rejoindra là- bas, on n’a pas le choix. On choppe l’autoroute, on en profite pour faire le plein. Je ne béquille même pas la moto, je la pose contre la pompe et hop, accélération jusqu'à Lille. On tourne à 150, c’est long, on est crevé et à un moment, je vois des appels de phare venant d’un véhicule.
Bizarre, j’inspecte en roulant pour savoir si je perds pas quelque chose et je remets de l’accélération. On lutte contre le temps et la fatigue, Kurtz me suit, direction Wasquehal. Je sais pas si on va arriver un jour…
Enfin le bled !
La fête est finie on trouve pas le paddock, c’est désert. Laurent Vincente, m’indique la direction à prendre. On arrive au parc, et là, personne, y’a plus personne ! Je cherche un officiel pour indiquer l’heure d’arrivée... rien, un motard vient me voir et me propose de m’emmener à l’organisation, je me pointe donc devant le mec de la FFM, Marc Fontan et tout le gratin pour faire part de ma situation. l’intervention de Klink a fait son effet, tout le monde est au courant, je demande simplement si nous sommes toujours dans la course. La réponse est « oui », mais avec des pénalités énormes.
Il est 21h30, mais il reste un problème à régler : Chet, où est Chet ?
les informations que je reçois, c’est qu’il pète les plombs, il est paumé... avec tout le taf qu’il a fourni, je suis à moitié étonné, il y a de quoi péter les plombs.
Il se dirige sur Wasquehal, on l’attend donc, impossible de trouver le mec chez qui on avait réservé une piaule, on sait pas où on va dormir, où on va manger... la merde !
Chet arrive, il sort il est furieux !
« vous m’avez pas attendu » « ben ouais, on s’est paumé, j’ai pensé que tu viendrais sur Wasquehal » « nan, vous me doublez sur l’autoroute, je vous fais des appels de phare et en plus vous accélérez, vous m’avez pas attendu...» « les phares c’était toi ?, franchement je te jure, j’ai pas vu le fourgon, j’ai ralenti, mais j’ai jamais pensé que c’était toi »
un silence, Chet n’imagine pas que je le double sans l’attendre, ça tient pas debout, il sait, parce qu’on se connaît bien.
« Bon, on va bouffer, je sais pas où on dort, mais ce serait bien de se poser, j’en peux plus là »
On est tous d’accord là dessus, on va manger dans une taverne avec Hervé et Bernard, nos pauvres collègues : pour eux c’est fini, chaîne de distrib cassée sur la bol d’or. Dans le resto, de nombreux concurrents de la catégorie classique nous voient arriver et nous demandent si on a réparé. Ils sont verts d’apprendre que l’on reprend la course demain, nous félicitent et font preuve d’un grand respect en rapport au coup de force que l’on a effectué.
On s’assoit, on téléphone pour essayer de trouver un coin pour dormir, trouver des pièces pour la Norton, la chaîne primaire est salement amochée, je fais tout ça en mangeant, Bruno PELINSKI, n’est pas disponible ce soir (j’ai appris qu’il était venu le lendemain livrer les pièces).
Emmanuel Trichet vient nous rejoindre au resto et nous propose de nous héberger, seulement c’est à 15 bornes, on est vachement content. C’est donc dans un maison typique du nord que l’on va effectuer notre sommeil réparateur, dans une piaule où les casiers remplis de pièces Norton font guise de tapisserie. J’espère que demain sera plus calme, à cette cadence , on est à rude épreuve, je m’endors rêvant qu’on est le team Balladin, que Chet est chef mécano chez Balladin équipé en Facom, avec table élévatrice, que Kurtz arrive pour couvrir l’épreuve avec un semi remorque équipé d’antennes satellites et d’une équipe rédactionnelle, des grosses bagnoles nous emmènent à l’hôtel , Dominique Sarron et Serge Nuques frappent à la vitre pour avoir un autographe...
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Kruel
à suivre
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