Le Marcel Rougeaud

Le Marcel-Rougeaud est l’unique commandant de bord de la voiture familiale, une Citroën BX, modèle dessiné de la main gauche avec une pelle de chantier et un burin par un dépressif unijambiste borgne, d’une livrée lie de vin ou bordeaux.

L’automobile étant en effet une affaire d’homme, et les couleurs une question de goût, pour les vignobles. Les plus véloces de cette catégorie colorée ont choisi le modèle « Sport » et se reconnaissent logiquement à leur tenue vestimentaire : le survêtement.
Le Marcel Rougeaud vit en peuplades aux abords des hypermarchés qu’il envahit en hordes cacophoniques aux premières heures du week end, confiant à Madame, dans un souci de respect des compétences, le pilotage du caddie, les commissions étant une affaire de femme, tandis qu’il se dirige direct vers le rayon presse afin de bénéficier d’une lecture gratuite de « l’équipe » et échapper ainsi à l’encombrant et humiliant choix du papier toilettes.
La maîtrise de son engin réclame quelques accessoires à l’ergonomie adaptée. Ainsi ses chaussures couleur daim ont une semelle spéciale au grip slick de chez F1 offrant une possibilité de dosage très pointu de l’accélération et dont talon débordant vers l’arrière ajoute une note esthétique bien venue. Le siège du pilote sera doté d’un boulier en vrai bois permettant à un corps meurtri par l’ingestion répétée de graisses bovines et d’huile de friture, d’épouser au mieux la forme de celui ci et de lutter efficacement contre la force centrifuge lors de courbes négociées fermement, et ce malgré les réprimandes de Madame, béotienne en compétition automobile. Les sièges des autres occupants seront, eux, recouverts d’une protection tricotée avec goût par la féminine main de l’objet de ses épousailles rurales afin de préserver l’éclat du skaï originel. Le volant, lui, se verra recouvert d’une matière absorbante, les sudations abondantes des gros doigts délicatement boudinés du Marcel-Rougeaud pouvant constituer une source d’inconfort nuisible à la précision des trajectoires aboutissant rapidement à quelques différents conjugaux.
Une attache caravane fixée à demeure sera fortement sollicitée au mois d’août lors des estivales investigations territoriales pratiquées en tongs, à la Bourboule, au camping des rôts marins. Le précieux véhicule sera équipé d’une alarme sensible au murmure le plus étouffé qui permettra, vers 3 heures du matin, de rassurer l’ensemble des campeurs quant à la présence effective d’une surveillance dissuasive, propre à éloigner tout malfrat à casquette inversée en quête de larcin. Une médaille représentant St Christophe assurera la protection passive de l’équipage, une lanière de cuir en contact permanent avec le sol évitera les indésirables effets de l’électricité statique au sortir d’un apéritif aux jaunes sévèrement dosés. Le véhicule entretenu avec soin constituera une excellente affaire sur le marché de l’occasion, lorsque celui ci sera abandonné contraint et forcé au profit d’une voiturette sans permis permettant d’échapper au cruel dilemme de l’absorption de boissons alcoolisées et de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur.

Bonduel